Les récentes tempêtes ont braqué les projecteurs de l’actualité sur les effets de l’érosion marine le long des côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche et plus particulièrement sur des plages “urbanisées” de stations balnéaires. Face à la catastrophe, on cherche les responsables… Les autorités sont montrées du doigt et le changement climatique est invoqué, faute de mieux. Ne faudrait-il pas plutôt s’interroger sur ce qu’il faut faire pour éviter de telles tragédies ? Car tout ce qui arrive aujourd’hui était prévisible. Pourquoi n’a-t-on pas su ou pas voulu anticiper? On ne parlera ici que des côtes basses sableuses (le problème de l’érosion des falaises devant être traité différemment).
L’érosion marine se manifeste de deux façons : par le recul du trait de côte là où il n’est pas fixé, ou par un abaissement de la plage là où le trait de côte a été figé par une digue. De ces deux manifestations de l’érosion marine, le recul focalise l’attention parce qu’il est plus photogénique; mais l’abaissement de l’estran au droit des digues, quoique plus discret, est tout aussi néfaste puisqu’il fait disparaître la plage à moyen terme.
L’érosion est-elle inéluctable? Non. On connaît des tas d’exemples de secteurs côtiers qui ne sont pas soumis à l’érosion, à l’échelle décennale ou pluri-décennale, de la côte aquitaine à la frontière belge. Mais comme il ne s’y passe pas grand chose, cela n’intéresse personne. Il est fondamental de constater que ces secteurs stables sont tous épargnés par le bétonnage et l’enrochement, à la fois sur le site concerné et sur ses abords immédiats. Ce sont toujours des sites où l’avant-dune sableuse est bien conservée et en lien direct avec la plage. A contrario, la plupart des sites littoraux en érosion sont soit fortement artificialisés (digue, épis, enrochements, avant-dune détruite), soit en aval-dérive de secteurs fortement artificialisés et/ou endigués. Les sites où l’érosion traduit des processus purement naturels sont plus rares (rive d’estuaire en position de “musoir” par exemple).
Il était un temps où l’homme pensait pouvoir dompter la mer et s’affranchir des lois de la nature qu’il connaissait d’ailleurs assez mal. Fin 19ème siècle, lorsque le tourisme balnéaire est né, on cherchait à installer le plus près possible de la mer tout ce qui faisait la raison d’être des nouvelles stations, les constructions mais aussi la digue-promenade où il était bon se faire voir et profiter du spectacle de la mer. Or pour cela il fallait détruire l’avant-dune et bâtir dessus. Les stations balnéaires de la côte atlantique, de la Manche et de la mer du Nord, se sont presque toutes créées sur les dunes littorales, d’Hendaye à Bray-Dune, en passant entre autres par Lacanau, La Baule, Cabourg, Le Touquet… En détruisant l’avant-dune on a rompu les échanges naturels entre la plage et sa réserve de sable qui l’alimentait en cas de tempête. La dune est comme une tirelire : elle accumule le sable en période de calme, sable qui servira à équilibrer le budget sédimentaire en cas de coup dur. Quand on dilapide sa tirelire on n’a plus de réserve. C’est ce qui s’est passé avec nos plages.
Alors que faire? Laisser disparaître les stations balnéaires et revenir au point de départ avant que naisse le tourisme? C’est évidemment impensable dans la majorité des cas. On peut au moins empêcher que les mêmes erreurs ne se reproduisent et interdire toute nouvelle construction en bordure de mer qui ne respecterait pas le maintien des échanges indispensables de sable entre plage et dune. On doit aussi prôner une relocalisation des biens et des activités partout où le coût de la défense contre la mer excède la valeur des biens menacés. C’est une solution de bon sens mais qui n’est pas facile à imposer par anticipation, en tenant compte du recul prévisible du trait de côte. Il faut néanmoins travailler dans cette voie plutôt que de se résoudre à une expropriation dans l’urgence.
Il existe une autre solution largement utilisée et maitrisée par les Belges, les Néerlandais, les Américains, mais encore relativement négligée en France. Le sable des zones côtières (à terre ou en mer) est une ressource non renouvelable en très grande partie héritée de périodes lointaines (plusieurs milliers d’années). Il faut évidemment interdire toute exportation de ce sable, y compris celui des espaces portuaires, pour en faire du béton ou tout autre usage. Bien plus, il faut le gérer de façon intelligente en rechargeant les plages en érosion avec du sable provenant de secteurs où il s’est accumulé, à terre ou en mer. C’est déjà pratiqué ça et là: Châtelaillon a été une commune pionnière en la matière et une opération massive est en cours à Dunkerque; d’autres sites, comme la baie de Wissant, devraient en bénéficier prochainement. Recharger les plages est moins coûteux, plus écologique, plus efficace dans la durée et beaucoup plus esthétique que tous ces ouvrages en dur (enrochements, épis, digues, brise-lames…) qui ont détérioré nos plages depuis tant d’années avec le résultat que l’on constate aujourd’hui.
Ces réflexions n’engagent que moi mais je crois que le rechargement des plages mérite toute l’attention des experts, des élus et des autorités et institutions concernés par le devenir des plages. Il faut inventorier les ressources en sable disponibles et compatibles, travailler sur les techniques de rechargement et les mesures d’accompagnement qui assureront sa durabilité, simplifier le système de gouvernance à la française, car l’extrême complexité de notre appareil réglementaire est inadapté à l’application rapide sur le terrain des réponses les plus appropriées. Avec son réseau EUCC-France peut participer utilement à ce vaste chantier dont l’enjeu n’est autre que la survie de nombre de nos plages et donc de l’activité balnéaire qui leur est associée.


Yvonne Battiau-Queney
Professeur émérite de l’Université de Lille 1
Présidente d’EUCC-France/ le Réseau Européen des Littoraux